Textes et critiques

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Têtes de lion, pattes de girafe, gueules béantes d’hippopotames, défenses et trompes d’éléphants, singes, gorilles et, au milieu de cette faune libre et sauvage, un petit d’homme porté par sa mère... telles sont les premières images que l’on perçoit de la peinture d’Hélène Legrand.

D’une maîtrise technique époustouflante. Cette jeune femme manie avec une force peu commune les formes, les couleurs et la composition. De grandes toiles sur lesquelles a été marouflé du papier de riz, recouvert de couches de pigments mélangés à de l’oeuf selon l’ancestrale technique de la tempera. Et de ce magma coloré surgit une forme, animale, la plupart du temps.

A y regarder de plus près, le propos de l’artiste n’est pas uniquement le règne animal, mais la création toute entière, le souffle vital qui irradie partout sur la toile. C’est de l’Arche de Noé dont il s’agit. De la vie qui renaît après le déluge et l’anéantissement dus à la colère divine. Ce sont les couples d’animaux épargnés et choisis par la patriarche qui surgissent du ventre de l’arche pour apparaître à l’air libre et se frayer un chemin nouveau à travers l’existence. De cet enchevêtrement de pattes, d’yeux et d’oreilles,c‘est la vie à l’état pur que l’on voit jaillir. Du chaos visuel sort l’origine du monde.

Cette fascination pour l’explosion vitale, Hélène Legrand la cultive dans toutes ses oeuvres. Avec un certain mysticisme, elle parle de sa peinture comme d’un acte de louange et son oeuvre semble une parenthèse hors du temps, une action de grâce, un remerciement à la création en une époque où le sacré ne se pratique plus guère. Ses thèmes relèvent d’une tradition très lucidement revendiquée.

 “ La tradition a du bon , elle est même essentielle “ , dit-elle. Savoir si la peinture  a trouvé la mort au cours du 20 ième siècle ne  se pose pas pour elle. Elle fait son travail, qui est de donner à voir. Ainsi, sur le fond coloré, l’artiste laisse venir, attend patiemment, comme une sage-femme, le moment magique où la forme va prendre corps, où la figure va éclore.

Elle la laisse s’épanouir, venir à fleur de toile, et décide quand l’apparition a atteint sa plénitude, semble prête à sortir de son cadre. Hélène Legrand construit alors un ‘quadrillage’ qui vient à point nous rappeler que nous ne sommes pas en présence d’une illusion ou d’un trompe-l’oeil.

De la race des contemplatives, elle peut rester des heures à observer les singes et les fauves, les éléphants ou les chevaux vivre et se mouvoir. Elle gagne même une certaine complicité avec certains d’entre eux, un bébé orang-outan, par exemple, né sous ses yeux et avec qui elle a maintenant un jeu : leurs mains se rejoignent derrière la paroi vitrée et se font signe. Elle observe, prend des photos, dessine aussi. Puis, le dessin va s’imposer sur la couleur, bientôt s’unir à elle. Le papier de riz apporte une texture; la tempera, la matité; l’huile, une certaine densité et la toile, une vibration....

Les matériaux et leur emploi traduisent une sensualité en accord avec les sujets. Parfois, c’est au dos de la toile qu’est collé le papier, le châssis créant une démarcation et un  compartimentage qu’Hélène Legrand utilise à la manière d’un polyptyque. Elle passe aisément du grand au très petit format, mais éprouve des difficultés à animer une surface moyenne. “ C’était aussi le problème de bacon et de Géricault, c’est peut-être bon signe...”, dit-elle dans un grand éclat de rire.

Sa maestria technique lui  permet de mettre en images ses perceptions. Par une grande justesse du trait et une vérité dans les tons, les animaux paraissent surpris dans des postures familières ou dans une intense imbrication de peaux, de pelages ou d’écailles. Nous sommes plongés dans un univers primitif et sauvage qui canalise  toutes nos soifs d’aventures et nos peurs enfouies. de visuelle, cette peinture devient évocation sonore, voire olfactive. Du fond de notre mémoire résonnent tous les bruits de la jungle ou du zoo : chuintements, bruissements, feulements, rugissements, barrissements...et s’exhalent les senteurs sauvages !

Très figurative, cette oeuvre n’est pourtant ni racoleuse ni commerciale. C’est une peinture pleine d’exigence et de rigueur. Farouchement déterminée, Hélène poursuit depuis vingt ans ce chemin parfois semé d’embûches.

Elle ne craint pas de faire partager ses émotions au travers d’une peinture généreuse et vigoureuse. Même si, parfois, elle doit supporter des remarques machistes maladroites, du style : “ Une peinture aussi forte, je n’aurais jamais cru que ce pouvait  être l’oeuvre d’une femme ! “ Hélène Legrand a pris le parti d’en rire et son rire est immense. Elle qui a  choisi son nouveau thème d’inspiration, la réponse de Dieu à Job: “ Ouvre les yeux et regarde ce que j’ai fait pour toi ! “ Encore et encore, le thème de la création du monde.

       

Isabelle de Maison Rouge

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