Textes et critiques

Regard sur l'Arche de Noé

Voici une artiste au sens fort, dont le travail est au seul service de la vie (et non d'elle même comme cela se voit trop souvent).

Transportant un monde d'une insondable densité, Hélène Legrand ne cesse de redire son émerveillement face à l'oeuvre de Dieu dont il nous est dit qu'Il créa et nous laissa nommer tous les animaux. Quand les choses se gâtèrent, Il confia à Noé le soin de rassembler un mâle et une femelle de chaque espèce afin de les préserver du déluge.

Qu'un tel thème fasse rêver un peintre, on le conçoit. Mais qu'il en tire une oeuvre si fascinante et experte a de quoi nous interpeller !

Retrouvant la technique des peintres de la Renaissance, Hélène Legrand atteint un ultime degré de raffinement pour faire surgir devant nos yeux buffles et gnous, éléphants et hippopotames, lions et chevaux, non sans une référence à la Nativité où les bêtes avaient toute leur place. C'était avant que l'homme ne prétende disposer de la planète.

Si Hélène Legrand parvient presque à créer l'illusion parfaite de la vie, elle tient aussi à nous rappeler au vertige de l'éphémère.

La rugosité de la toile apparaît ça et là, contrastant avec la douceur de la peau, comme pour nous dire combien toute oeuvre humaine est menacée.

D'une extrême humilité, les titres des peintures évacuent toute fioriture. Ils se contentent d'énumérer les passagers de l'Arche. Ils plaident pour une humanité perdue, une présence IRREMPLAÇABLE.

Du sein de cette tendresse revendiquée, de cet univers " maternel ", Hélène Legrand nous donne une grande leçon de résistance : l'art n'est mort que pour ceux qui n'ont plus rien à lui donner.

Luis Porquet
(Journaliste, critique d'art
et rédacteur spécialisé)

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